Qu’est-ce qui vous a incité, vous et le Conseil suisse des religions, à publier une déclaration commune à l’occasion du Jeûne fédéral ?
Tout au long de son histoire, le Jeûne fédéral a toujours eu deux fonctions : une prière en temps de crise et, depuis 1848, une médiation entre les confessions. Aujourd’hui, ces deux aspects sont plus que jamais d’actualité : les gens doivent surmonter de nombreuses crises et la cohabitation entre les communautés religieuses en Suisse est soumise à de fortes pressions et de la haine. À l’heure actuelle, où les polarisations et les divisions se multiplient dans de nombreux pays, il est décisif de donner un signe fort de communauté. La déclaration interreligieuse doit montrer clairement que nous, représentant-es de différentes confessions, avons une responsabilité commune pour la paix sociale. Ce qui nous unit, ce n’est pas seulement la foi en Dieu, mais aussi la conviction que nous devons nous engager ensemble pour le bien-être de tous les êtres humains dans notre société.
La déclaration parle de la menace qui pèse sur la démocratie, les droits de l’homme et la liberté dans le monde. Les communautés religieuses ont-elles une responsabilité particulière face à cela ?
Absolument, oui. Les religions n’ont pas seulement pour mission de fournir une orientation spirituelle, elles ont aussi une responsabilité sociale et éthique. Les valeurs de justice, de dignité humaine et de liberté sont profondément ancrées dans la foi. Lorsque ces valeurs sont menacées dans le monde, que ce soit par le nationalisme, l’intolérance ou l’hostilité à l’égard de certains groupes de personnes, de personnes croyantes ou de membres de différentes religions, en tant que communautés religieuses, nous ne pouvons pas nous taire. Il est de notre devoir de prendre position, que cela soit en paroles ou en actes, et de faire comprendre que de telles évolutions sont en contradiction avec nos valeurs fondamentales. Il ne s’agit pas d’exercer une influence politique, mais de défendre ce que nous considérons comme sacré et indispensable : la vie et la dignité de chaque être humain.
La déclaration stipule également que notre société est le fruit de processus d’apprentissage douloureux. Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir face aux défis globaux actuels ?
Ce qui me donne de l’espoir, c’est la volonté profonde, de nombreuses personnes et communautés, de chercher ensemble des solutions malgré les difficultés. L’histoire le montre, les plus grandes crises sont aussi des moments de transformation et de croissance. La génération actuelle est plus connectée et informée que jamais. Il existe une sensibilité croissante envers des thèmes tels que la justice sociale, la durabilité et les droits de l’homme. La coopération interreligieuse est un signe qui démontre que nous pouvons trouver un chemin commun au-delà de nos différences. Je crois fermement que l’esprit humain, inspiré par la foi et l’amour du prochain, trouvera les moyens de relever les défis.
La déclaration souligne que la foi nous engage non seulement spirituellement, mais aussi socialement. Quel est selon vous le plus grand défi de l’Église dans la mise en œuvre de cette mission ?
Le plus grand défi consiste à faire entrer la foi dans le quotidien de notre société. Nous vivons dans un monde qui est souvent marqué par l’individualisme et la recherche de l’épanouissement personnel. Dans une telle société, il n’est pas facile de faire passer le message de solidarité, de pardon et d’amour du prochain. De nombreuses personnes se distancient des institutions, y compris de l’Église. Notre tâche en tant qu’Église est de rester pertinent et d’atteindre les gens là où ils se trouvent. Cela signifie que nous devons également trouver de nouvelles voies pour traduire notre responsabilité sociale en actions concrètes, que cela soit par le biais d’un travail éducatif, de projets sociaux ou d’un engagement pour la justice et la paix. Pour ce faire, nous ne devons pas nous fier uniquement à l’institution qu’est l’Église, mais encourager tous les personnes croyantes à devenir elles-mêmes actives.
Quelle est la signification particulière du Jeûne fédéral pour vous et pour l’Église réformée de Suisse ?
Pour moi, cette journée est un moment de pause. Dans un monde où tout va très vite et où nous manquons souvent de recul sur l’essentiel, le Jeûne fédéral nous offre la possibilité de nous arrêter, de réfléchir et d’exprimer notre gratitude pour tout ce que nous avons. Pour l’Église réformée de Suisse, cette journée est aussi un signe de notre responsabilité au sein de la société. C’est une journée où nous prenons conscience de notre rôle, en tant que voix pour la justice et en tant que communauté qui s’engage activement pour la paix. Dans une société pluraliste, cette journée est le symbole que la religion ne divise pas, mais qu’elle unit en invitant à une réflexion commune sur les valeurs et la responsabilité.
Si vous vous projetez dans l’avenir, comment envisagez-vous le rôle de l’Église dans une société de plus en plus pluraliste et comment pouvons-nous, en tant que croyant-es, jouer notre rôle dans la promotion de la paix et de la justice ?
Dans une société pluraliste, l’Église ne restera pertinente que si elle est ouverte et prête à dialoguer. Il ne s’agit pas de faire des compromis au détriment de la foi, mais d’entrer dans un dialogue avec d’autres religions et visions du monde, tout en affichant clairement nos valeurs et nos convictions. Pour l’avenir de l’Église, je vois deux missions centrales : d’une part, nous devons continuer à offrir des lieux de refuge spirituel et de dialogue où les gens peuvent trouver des réponses aux questions urgentes de notre époque. D’autre part, nous devons agir concrètement dans le monde, nous engager pour la justice, nous lever contre l’injustice et aider ceux qui ont le plus besoin de soutien. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons rester crédibles en tant que croyant-es et apporter une véritable contribution à la paix.