Dans son allocution d’ouverture, Rita Famos a donné une grande importance à l’aumônerie : « En ce qui nous concerne en tant qu’Église, l’aumônerie est au cœur de notre pratique ecclésiale et de notre réflexion théologique. Elle est en quelque sorte le ‘pouls’ de notre Église. Aujourd’hui, nous prenons notre pouls et regardons comment nous nous maintenons en forme pour ne pas nous laisser dépasser dans un secteur aussi performant et exigeant que celui de la santé ». Elle a encouragé les aumôniers et les aumônières à se considérer comme des soutiens des personnes malades. « Ce qui nous guide et nous motive tous et toutes, c’est d’éprouver qu’en soignant, en accompagnant, en soutenant, nous laissons transparaître un morceau de ciel sur terre ».
Isabelle Noth, professeure à l’Université de Berne, a présenté un modèle d’aumônerie selon une approche confessionnelle, incitant à la réflexion. « Au cours de sa longue histoire, l’aumônerie a toujours dû rendre compte de la compréhension qu’elle a d’elle-même ». Malgré tous les efforts de professionnalisation et l’adoption d’autres disciplines, la notion de cure d’âme (all. : Seelsorge) ne devrait pas être remplacée par d’autres notions, mais rechercher son fondement théologique et discerner les signes du temps.
Simon Peng-Keller, professeur à l’Université de Zurich, a présenté les soins spirituels (spiritual care) comme un concept global et une tâche interprofessionnelle (qui comprend les professions de la médicine, des soins, de la psychothérapie et des services sociaux). Comme fondement théologique, Peng-Keller a souligné la mission chrétienne de guérison, qui se situe au même niveau que la prédication (Lc 9,1-2). « L’accompagnement spirituel est une profession thérapeutique au sens large et devrait s’efforcer d’être reconnu comme telle ».
Lors de la table ronde qui a suivi, des expériences et des questions issues de la pratique ont été discutées. Claudia Graf, pasteure et aumônière d’hôpital à Langenthal, et Annette Mayer, théologienne catholique et aumônière au Centre hospitalier universitaire vaudois CHUV, ont clairement montré à quel point le travail en réseau est central dans leurs contextes respectifs. « L’environnement hospitalier est souvent perçu comme quelque chose d’hostile, je trouve cela dommage. Nous devons nous intégrer pleinement. Je veux travailler dans un environnement d’accueil où je peux mettre à profit mes compétences », a déclaré Mme Mayer. Mme Graf a expliqué combien son métier nécessite souvent de la résilience et des explications. On est soumis à des contraintes et à des questions budgétaires. Elle a plaidé pour une forte collaboration avec les institutions de santé.
Les participants et participantes ont ensuite pu échanger sur leurs expériences et approfondir le sujet dans cinq ateliers différents. Les résultats ont permis de constater que les aumôniers et aumônières sont en prise directe avec la vie des personnes. Leur vis-à-vis est l’être humain en détresse, qui veut être compris, vu et entendu. Dans les hôpitaux, les EMS et les établissements psychiatriques, l’aumônerie n’a cependant pas une position facile et assurée. Il faut constamment rappeler que selon l’OMS, la santé comprend la dimension spirituelle en plus des dimensions physique, psychique et sociale. L’aumônerie professionnelle prend en compte la détresse spirituelle de la personne et peut ainsi contribuer au processus de guérison. Dans leur travail, les aumôniers et aumônières se sentent souvent seuls, ils et elles ont besoin d’être présent.e.s et intégré.e.s dans le fonctionnement de l’institution afin de pouvoir démontrer leur professionnalisme. Selon eux et elles, l’accompagnement réussit lorsque les besoins de l’interlocuteur sont reconnus, lorsque l’on parle son langage et lorsque ses ressources spirituelles sont reconnues et mises en valeur. Il faut donc se référer à la confession ou à la vision du monde de la personne concernée. En fin de compte, c’est l’attitude des institutions et de l’aumônerie, qui permet une bonne collaboration et intégration.
La deuxième journée de la conférence a été ouverte par Mgr. Markus Büchel, vice-président de la Conférence des évêques suisses. « Nous apprenons à devenir plus synodal. À écouter, à participer, à cheminer ensemble, à critiquer le pouvoir et à être des témoins crédibles de la Bonne Nouvelle. Vous aussi, interprétez, prenez au sérieux, comprenez et laissez l’autre vous transformer ».
Pierre-Yves Brandt, professeur à l’Université de Lausanne, a présenté des modèles de critères sur la « Qualité de l’aumônerie ». La profession d’aumônier ou aumônière évolue notamment en raison du fait que les personnes se détournent de plus en plus de la religion, mais également en raison des besoins d’accompagnement dans les soins globaux et des questions éthiques liées à la fin de vie. Comme les aumôniers et aumônières ne détiennent plus l’autorité spirituelle, ils et elles doivent prendre en compte les systèmes de valeurs des patientes et patients et interviennent en tant que conseillers et conseillères dans le processus de décision thérapeutique. Selon Pierre-Yves Brandt, la qualité de l’aumônerie résulte de connaissances spécialisées, d’une formation théologique continue et d’une réflexion sur sa propre spiritualité et son rôle en tant que professionnel. L’aumônerie doit collaborer de manière interprofessionnelle, elle doit être facilement accessible et bien visible. Il a conseillé aux Églises d’être plus actives dans la définition de critères de qualité.
Une table ronde réunissant des responsables ecclésiaux, des directions d’institutions de santé et des responsables de formation a enrichi le débat par l’expérience pratique et la réflexion à son sujet. Barbara Giger-Hauser, membre de la direction de l’hôpital cantonal de Saint-Gall et responsable du département des soins et des services thérapeutiques, a déclaré : « L’aumônerie n’est pas un appendice gênant, mais fait partie de la chaîne de traitement ». Elle a parlé de la transparence mutuelle, qui exige toutefois aussi de l’aumônier ou de l’aumônière de s’intégrer dans l’institution. L’échange réciproque d’information de la part des patientes et patients doit être traité avec soin. Marcel Lanz, directeur d’EMS à Wohlen, a souligné : « L’accompagnement spirituel peut réussir si une relation s’établit. Et cela prend du temps ». Comme l’aumônerie de l’Église cantonale locale avait de moins en moins de ressources à consacrer aux résidents et résidentes, il a engagé lui-même des aumôniers : « L’investissement est largement rentabilisé. L’aumônerie fait partie intégrante de la maison, elle est aussi importante que les soins ». La qualité est ici assurée par l’Église cantonale d’Argovie. Même si l’aumônerie doit faire l’objet de processus de certification auprès d’institutions privées ou publiques, il n’existe pas encore de facteurs de qualité vérifiables et contraignants de la part des Églises à l’échelle de la Suisse. Catherine Berger, vice-présidente de l’Église d’Argovie, s’est opposée à un retrait de l’aumônerie ecclésiale hors des institutions de santé au profit de l’accompagnement réalisé dans les paroisses. « L’aumônerie est service du prochain, des personnes en détresse. L’Église doit y être présente ». Dans son canton, l’aumônerie dans le secteur de la santé est sous responsabilité œcuménique, ce qui renforce la position de l’Église en tant qu’interlocutrice vis-à-vis de la politique et des institutions. « L’Église ne doit pas avoir peur de perdre son identité en s’engageant dans des coopérations ». Comme perspective d’avenir, Mme Berger a mentionné le développement d’équipes de bénévoles, dirigées par des aumônières et aumôniers professionnels, comme une manière pour faire face aux pénuries de personnel. Markus Stalder, diacre et directeur du service « Domaines pastoraux » de l’Église catholique dans le canton de Berne, l’a approuvée et a parlé d’un élargissement : « Nous voulons ouvrir l’accès des autres religions à l’aumônerie ». Ce domaine très sensible nécessite des normes élevées. Susanne Altoè, aumônière et vice-présidente de l’Association professionnelle pour l’aumônerie et spiritual care spécialisés en milieu de santé (APA), a présenté son rapport du point de vue de la pratique : « Dans la rencontre avec les gens, nous devons toujours négocier ce qui est en jeu. Qu’est-ce que l’aumônerie ? » Elle place les patients et patientes et leurs ressources respectives au centre de ses préoccupations. Mario Drouin, théologien et responsable de la formation à l’aumônerie du CHUV, a rappelé que des soins complets nécessitaient également une bonne documentation. Son équipe laisse des notes pour les soignants et soignantes et aide ainsi tout le monde à penser à la dimension spirituelle.
Catherine Berger, Markus Büchel et Heiko Rüter, président de l’APA, ont évoqué quelques perspectives à la fin de la conférence. « Nous avons pris un bon départ, notre objectif est de nous établir en tant que discipline spécialisée au sein du système de santé », a déclaré Heiko Rüter. L’intention est là de continuer à travailler ensemble, dans un contexte œcuménique. Mgr. Büchel a déclaré : « Dans notre réalité complexe, il est important de se parler. Les cultures sont différentes, mais c’est un enrichissement ». Il s’est clairement prononcé en faveur de la création d’une instance de coordination œcuménique nationale « Aumônerie dans le domaine de la santé ». De même pour Mme Berger, car les enjeux et les défis auxquels les Églises doivent faire face dans toute la Suisse sont similaires. Le domaine de la santé évolue rapidement et les changements sont irréversibles. Outre les changements cantonaux, les évolutions à l’échelle nationale exercent également une influence sur l’action des Églises dans le domaine de l’aumônerie. Il faut penser à des thèmes comme la vieillesse, la démence, l’utilisation de l’IA, la gestion des documents, etc. Tous ces thèmes nécessitent un lieu où de tels changements sont perçus, discutés et où des mesures sont prises à temps. Les Églises veulent pouvoir faire valoir leur expertise en tant qu’interlocutrices et coéquipières au sein des instances nationales. Un exemple : les Églises n’ont pas été associées à l’élaboration de la Stratégie nationale en matière de démence, un domaine dans lequel elles peuvent apporter une expérience et une expertise exceptionnelles. « Nous devons nous coordonner et regrouper les voix des Églises afin d’être davantage en mesure de parler d’une seule voix au niveau national. »
Un groupe de travail composé de représentantes et représentants de l’EERS, de la CES et de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (Conférence Centrale) est en train d’élaborer un projet de concept et un contrat pour la création d’une telle instance de coordination œcuménique nationale. La création de celle-ci fait partie des objectifs actuels de législature du Conseil de l’EERS. Depuis 2023, une procédure de consultation et plusieurs tables rondes avec les directions des Églises et les collaboratrices et collaborateurs spécialisés ont été organisées à ce sujet. Il s’agit de créer des conditions-cadres optimales pour l’aumônerie des Églises membres dans le domaine de la santé, en tenant compte de toutes les disciplines de ce domaine, des préoccupations des aumôniers et aumônières, de la science, de la politique et des représentations des institutions. Dans ce cadre, l’échange avec toutes les parties concernées et l’apprentissage mutuel ont une importance prioritaire. Une telle plateforme d’échange devra être promotrice de la communion ecclésiale, étant entendu qu’il convient de respecter les spécificités existantes des Églises membres, chacune avec ses propres modèles d’aumônerie, et sans privilégier un modèle d’aumônerie en particulier. Les principaux jalons en matière de politique ecclésiale doivent être posés d’ici fin 2024.
Conférence « L’Église dans le domaine de santé »
Cette conférence a été initiée par la Conférence des évêques suisses (CES), l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS) et l’Association professionnelle pour l’aumônerie et spiritual care spécialisés en milieu de santé (APA). Elle a mis l’accent sur l’échange professionnel et le dialogue entre aumôniers et aumônières, responsables d’Églises et spécialistes venus de toute la Suisse. 140 participant·e·s et 40 intervenant·e·s ont débattu à l’Université de Fribourg de différentes conceptions de la pratique de l’aumônerie, de leur cadre théologique et de l’état actuel de la recherche. Ces journées d’étude axées sur la pratique ont offert un aperçu des différentes formes, offres et structures de l’engagement ecclésial dans le domaine de la santé.
Photos de la conférence